Ouvrage coup de ❤️
STYLE
Dans ce livre volumineux écrit en petits caractères avec des paragraphes, rarement courts, s'étendant parfois sur plusieurs pages, Françoise Coste adopte une approche résolument historique et analytique. Son ouvrage se distingue par la densité des informations, la qualité de l'écriture, le sens du portrait psychologique et la manière dont Ronald Reagan a su incarner la révolution libérale américaine des années 80.
RÉSUMÉ
Ronald Reagan, 40ᵉ président des États-Unis, incarne une figure riche en paradoxes qui ont marqué sa carrière et son héritage politique.
Acteur de série B, syndicaliste et excellent communicateur, Reagan se révèle également anti-communiste passionné. Les leaders conservateurs décèlent chez lui un charisme, un optimisme et une flexibilité idéologique susceptibles de servir leur cause. Avec leur soutien, il deviendra gouverneur de la Californie en 1966 - 1974 et Président des Etats-Unis de 1981 à 1989.
La politique de Reagan reposait sur une coalition républicaine largement blanche, chrétienne et particulièrement forte dans le Sud. Elle prônait le libre marché, la réduction des impôts, et la déréglementation - éléments caractéristiques du néolibéralisme - offerts en alternative à un public désillusionné par le libéralisme du New Deal du Président Franklin D. Roosevelt. Reagan a fortement soutenu les valeurs conservatrices, notamment en matière de famille et de moralité, en se rapprochant étroitement des mouvements évangéliques. Il a ainsi joué un rôle déterminant dans le rapprochement entre le Parti républicain et l’électorat conservateur religieux
Surnommé le Great Communicator, Reagan excellait dans l’art du discours, adoptant un ton chaleureux et fédérateur, même lorsqu’il défendait des positions conservatrices.
Reagan se distingue par une sorte de politique de l'Illusion. Sa capacité à « faire comme si » les problèmes n’existaient pas, même lorsqu’il reconnaissait les faits, est l’un des aspects les plus fascinants de sa personnalité et de son style politique. Bien qu’il fût conscient des défis auxquels l’Amérique faisait face, il choisissait souvent de minimiser leur impact. Par exemple, aux questions économiques difficiles, il mettait en avant les réussites du marché libre et la « grandeur retrouvée » de l’Amérique, plutôt que d’admettre pleinement les inégalités croissantes ou la montée du déficit budgétaire. Cet acte d’ignorer ou de minimiser les problèmes était abordé avec des discours rassurants, parfois même naïfs, pour éviter de perturber l’illusion d’une Amérique inébranlable.
Cette sorte de politique de l’illusion s’étendait aussi à ses relations internationales : alors que des menaces sérieuses, comme la prolifération nucléaire ou les tensions avec l’URSS, persistaient, Reagan affirmait souvent que le monde était « plus en sécurité » sous sa présidence, en dépit des faits qui contredisaient cette vision.
Surnommé Roi fainéant, Reagan déléguait énormément à ses conseillers et ministres pour prendre les décisions techniques à sa place, tout en restant une figure symbolique puissante pour son camp. Reagan montrait peu d’intérêt pour les détails des politiques publiques, préférant des fiches simplifiées préparées par son équipe. Il était connu pour ses journées de travail légères, passant beaucoup de temps à son ranch ou à regarder des films à la Maison-Blanche. Pendant les réunions, son ennui se traduisait par des griffonnages sur ses notes, accentuant ainsi l'image d'un dirigeant peu impliqué dans les échanges techniques.
Reagan avait une tendance marquée à illustrer ses propos par des anecdotes personnelles ou des histoires simplifiées, souvent tirées de souvenirs de films ou de récits populaires. Lors de discussions importantes sur des questions économiques, sociales ou diplomatiques, il répondait parfois par une anecdote qui n’avait qu’un lien ténu, voire aucun, avec le sujet abordé. Ses histoires étaient censées illustrer un point en faveur de sa politique, mais elles avaient parfois l’effet inverse. Un exemple : il évoquait un vétéran héroïque pour justifier des coupes budgétaires dans les aides aux anciens combattants, alors même que son histoire démontrait les difficultés rencontrées par ces derniers.
La politique étrangère de Reagan se caractérise avant tout par une posture résolument anticommuniste, comme en témoigne notamment le projet « Guerre des étoiles », une Initiative de défense stratégique censée offrir aux États-Unis une longueur d’avance sur l’URSS face à la menace des missiles soviétiques. Cette orientation se retrouve également dans l’affaire Iran-Contra, plus connue sous le nom d’Irangate. Ce scandale politico-militaire, survenu lors du second mandat de Reagan, est brillamment analysé par Coste.
Je me permets ici de résumer brièvement cette afffaire
Officiellement, les États-Unis avaient interdit toute aide militaire à l’Iran, alors en guerre contre l’Irak. Mais, en coulisses, l’administration Reagan a secrètement vendu des armes à cet Iran frappé d’interdit via des intermédiaires, notamment Israël. Les Iraniens payaient ces armes à un prix gonflé et l’excédent de ces ventes n’était pas enregistré dans le budget américain, mais plutôt détourné vers des comptes offshore et des sociétés écrans. Cet argent a ensuite été redirigé pour financer les Contras, un groupe paramilitaire d’opposition au gouvernement sandiniste du Nicaragua, qui était soutenu par l’URSS. Problème : le Congrès américain avait aussi interdit explicitement tout soutien aux Contras. L’affaire a éclaté en novembre 1986 après des révélations dans la presse. Une enquête du Congrès a mis en lumière l’ampleur du scandale. J’ai été stupéfaite par la complexité du montage financier et logistique orchestré et supervisé par le Conseil de Sécurité nationale. Dans son autobiographie, Reagan passe rapidement sur les scandales de son administration, notamment sur cette Iran-Contra, qu’il évoque comme une erreur involontaire, il semblerait qu’il était plutôt enclin à nier toute connaissance du détournement des fonds vers les Contras. Coste, en revanche, analyse en profondeur ce scandale et souligne la manière dont Reagan a évité d’en assumer pleinement la responsabilité. Du point de vue de l’historienne, ce scandale laisse planer le doute entre son incompétence et sa complicité.
À la fin de ses deux mandats, Reagan était convaincu que l’Amérique n’avait jamais été aussi forte et que rien ne pouvait ternir son bilan. La grande majorité des Américains partageait cette illusion. Selon plusieurs historiens, ce qui comptait alors pour l’opinion publique n’était pas tant la réalité des faits que celle des émotions.
IMPRESSIONS
L’ouvrage de Françoise Coste apporte une analyse nuancée et critique, loin du récit héroïque que Reagan propose de lui-même.
Je me suis passionnée pour cet ouvrage qui met en lumière la personnalité complexe de Reagan dont les contradictions et les décisions stratégiques ont façonné non seulement l’Amérique de son époque, mais aussi le paysage politique mondial.
Même si l’écriture peut paraître parfois dense, elle sert de vecteur pour approfondir la complexité d’un homme à la fois captivant, controversé et insaisissable.
Un livre magistral pour ceux et celles qui s’intéressent à la politique américaine.❤️
AUTRES COMMENTAIRES
Ronald Reagan et Donald Trump sont souvent comparés en raison de leur influence sur le Parti républicain et leur statut de présidents populistes ayant marqué leur époque. Leurs styles, leurs parcours, leurs visions politiques, leurs discours, utilisés pour jouer sur les frustrations économiques et sociales des électeurs de la classe ouvrière blanche, présentent autant de similitudes que de divergences.
Tout comme le rapporte Coste pour Reagan, Michael Wolff décrit Donald Trump comme ayant une préférence pour des résumés courts et des fiches synthétiques plutôt que des documents longs et détaillés.
Surnommé le Great Communicator, Reagan excellait dans l’art du discours, adoptant un ton chaleureux et fédérateur, même lorsqu’il défendait des positions conservatrices. Trump est un communicateur percutant mais clivant. Il exacerbe les tensions raciales et sociales, attise la polarisation et multipliant les attaques contre les minorités, les médias et les institutions. Son usage intensif de Twitter a bouleversé la communication présidentielle.
Reagan croyait en une Amérique forte sur la scène internationale, via l’OTAN et des alliances solides. Il a promu le libre-échange avec ses politiques de déréglementation et d’ouverture des marchés (par exemple, l’Accord de libre-échange nord-américain, ALENA). Trump se méfie des alliances traditionnelles (OTAN, accords de libre-échange) et privilégie des relations bilatérales dictées par des intérêts immédiats. Son rapprochement avec la Russie contraste avec l’hostilité affichée par Reagan envers Moscou.
Malgré ses contradictions, Reagan a laissé une image de leader rassurant et inspirant, y compris chez certains démocrates. Les mandats de Trump sont, quant à eux, marqués par le chaos, la désinformation et des tensions inédites, qui ont culminé à la fin de son premier mandat avec l’assaut du Capitole en janvier 2021.
Si Reagan et Trump ont tous deux transformé le Parti républicain et marqué leur époque, Reagan incarne un conservatisme optimiste et institutionnel, tandis que Trump représente un populisme agressif et conflictuel. Reagan voulait unir l’Amérique autour de la « destinée manifeste » du pays ; Trump, lui, a prospéré sur la division et la colère.