RÉSUMÉ
Le gouvernement Trudeau a marqué les politiques sociales canadiennes par des mesures ambitieuses, dont l’augmentation des allocations familiales et l’élaboration d’un plan pancanadien de services de garde — largement inspiré du modèle québécois.
Sur le plan environnemental, Ottawa a instauré un prix sur le carbone et investi dans les énergies propres. Toutefois, l’approbation de projets d’oléoducs a contredit ce virage vert, alimentant la critique, en particulier dans les provinces de l’Ouest, de l’Ontario et des Maritimes. La taxe carbone est devenue l’un des symboles les plus polarisants de son gouvernement.
Trudeau a également misé sur la diversité et l’inclusion : par la parité dans son cabinet, le soutien aux communautés LGBTQ2S+, et l’engagement dans un processus de réconciliation avec les peuples autochtones.
En immigration, son premier mandat visait des cibles ambitieuses, revues à la baisse par la suite, face à des critiques sur le manque d’infrastructures suffisantes — notamment en logement, en éducation et en santé — pour accueillir ces populations, alors que plusieurs secteurs économiques souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre.
Certaines politiques qui ont su capter mon attention
LE LOGEMENT
Dès 2017, Justin Trudeau met en place une Stratégie nationale sur le logement, visant à améliorer l’accessibilité et à réduire l’itinérance. Cependant, la pandémie de COVID-19 freine considérablement sa mise en œuvre.
Les résultats demeurent inégaux, en partie à cause de la collaboration incertaine des provinces, municipalités et acteurs privés. Si Ottawa dispose de leviers limités dans ce domaine, il conserve néanmoins la responsabilité de certains paramètres clés : niveau de financement, calendrier de déploiement, et modalités de partenariat.
SERVICES DE GARDE
Dans son budget de 2021, le gouvernement Trudeau lance un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, fondé sur l’expérience québécoise.
Cependant, le manque de clarté législative et les tensions intergouvernementales freinent sa pleine réalisation. Grâce au financement conditionnel et à des ententes bilatérales, Ottawa tente malgré tout d’imposer une vision cohérente tout en respectant les spécificités régionales.
POLITIQUES DE SANTÉ
Contrairement à l’approche de Stephen Harper, Justin Trudeau réintroduit une forme d’interventionnisme fédéral en santé. Des ententes bilatérales sont conclues pour orienter les transferts vers des priorités comme la santé mentale, les soins à domicile et la formation du personnel soignant.
Pendant la pandémie, Ottawa assume un rôle central : achat de vaccins, distribution de matériel médical, élaboration de normes dans les CHSLD - malgré leur gouvernance provinciale.
DÉFENSE NATIONALE
Dans un contexte de gouvernance minoritaire, Trudeau doit adapter ses engagements en défense. Un tiers des promesses utilisent un langage symbolique, sans engagements financiers concrets.
Exemples de langage symbolique
Formulations vagues sans précisions budgétaires ni calendrier : Maintenir le Canada comme un partenaire fiable au sein de l’OTAN. ; Renforcer la souveraineté du Canada dans l’Arctique.
Répétition d’engagements déjà existants, ce qui donne une impression d’action sans changement réel : Poursuivre les efforts de modernisation du NORAD.
Usage de expressions générales imprécises, difficiles à évaluer ou à contester directement à forte connotation politique : Assurer la résilience de nos forces armées. Adopter une posture agile et proactive face aux défis mondiaux. Protéger les intérêts du Canada sur la scène internationale.
Déclarations laissant entendre une action future, sans obligation immédiate : Explorer de nouvelles options pour améliorer la cybersécurité militaire. Travailler avec les partenaires pour identifier les priorités d’investissement.
Engagements dépendants d’autres acteurs - ministères, partis d’opposition, Conseil du Trésor, OTAN, NORAD - rendant leur réalisation difficilement imputable au gouvernement canadien seul : Appuyer les efforts internationaux pour la paix et la sécurité.
LES OBSTACLES STRUCTURELS
Cinq facteurs ont limité la réalisation des engagements de Trudeau :
Polarisation politique : Clivages idéologiques, régionaux et ruraux/urbains ont fragmenté l’espace public et compromis les compromis.
Fédéralisme : Plusieurs domaines nécessitent une coopération provinciale, parfois absente.
Complexité des politiques : L’élaboration exige concertation et adaptation, ce qui ralentit les résultats.
Usure du pouvoir : Après près de 10 ans, scandales et manquements éthiques ont affaibli l’autorité du gouvernement : Interférence politique dans le système judiciaire liée à l’affaire SNC-Lavalin ; Conflit d’intérêts dans l’octroi d’un contrat public dans l’affaire WE Charity ; Acceptation de cadeaux non déclarés liée à ses vacances chez l’Aga Khan ; Allégations d’ingérence étrangère de la Chine dans l’affaire Han Dong ; mauvais jugement dans la nomination de la gouverneure générale Julie Payette ; Perceptions d’improvisation, de favoritisme et de dépenses excessives lors de la pandémie ; Nomination de Mary Simon : un symbole fort entaché par une controverse linguistique ; L’affaire Huawei et Meng Wanzhou : un scandale diplomatique à haut risque.
Crise du coût de la vie : Inflation, pénurie de logements et anxiété économique ont forcé un recentrage sur des réponses immédiates au détriment de réformes profondes.
IMPRESSIONS
Justin Trudeau a gouverné dans un contexte marqué par des dilemmes complexes : L’énergie et le climat ; L’économie et l’environnement ; L’immigration et la capacité d’accueil en santé, en éducation et en logement ; La francophonie canadienne et le nationalisme québécois ; La réconciliation autochtone et les infrastructures défaillantes héritées du colonialisme.
Il a également traversé des crises majeures - la pandémie mondiale de COVID-19 et la guerre en Ukraine - sans réussir à s’imposer pleinement sur la scène internationale. L’un des échecs les plus retentissants de sa diplomatie fut la tentative infructueuse du Canada d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, perdu au profit de l’Irlande et de la Norvège, malgré une campagne longue et coûteuse. Ce revers illustre le recul de l’influence globale du Canada sous son leadership.
Sur le plan intérieur, les politiques de Trudeau ont souvent rencontré une forte opposition des provinces, des Premières Nations et des territoires, que ce soit sur la mise en œuvre de la taxe carbone, la répartition des compétences en santé, ou les seuils d’immigration.
Plus largement, ce bilan est marqué par une utilisation fréquente d’un langage symbolique, mais manquant de cohérence et de suivi : les engagements en matière d’environnement, par exemple, sont contredits par le soutien à des projets d’oléoducs ; les déclarations en matière de droits humains sont affaiblies par une diplomatie prudente, voire effacée, face à des puissances comme la Chine ou l’Inde. Sur les grands dossiers stratégiques et multilatéraux, le Canada n’a pas pesé lourd, malgré un discours progressiste.
Ce bilan révèle à la fois les ambitions sociales et inclusives d’un chef cherchant à incarner une transformation du Canada, et les limites d’un leadership jugé par moments improvisé, hésitant, ou trop centré sur un cercle rapproché.
Peut-être Justin Trudeau manquait-il de vision stratégique, ou simplement d’une équipe suffisamment solide pour concrétiser ses idées.