L’ouvrage de Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique et d’études féministes, propose - à partir d’une enquête à la fois historique et contemporaine - une analyse fine de la place des hommes dans le féminisme. Il met en lumière plusieurs enjeux centraux : la tension entre alliances sincères et comportements patriarcaux persistants, la nécessité pour les hommes d’occuper une position décentrée et non dirigeante, l’importance politique de la non-mixité dans les milieux militants, ainsi que l’exigence d’un engagement masculin concret, humble et cohérent.
Dupuis-Déri montre que la participation masculine aux luttes féministes, en Europe, en Afrique, en Asie comme dans les Amériques, est ancienne mais constamment traversée par des tensions. Si les hommes peuvent être des alliés, leur présence soulève immédiatement des questions de pouvoir, de positionnement et de reproduction possible des schémas patriarcaux, y compris au sein des milieux militants.
Une large part du livre est consacrée à la distinction entre les alliés véritablement solidaires et ceux dont les motivations sont plus troubles : les hommes qui utilisent le féminisme pour se valoriser ; ceux qui monopolisent l’espace dans les groupes mixtes ; ceux qui théorisent à la place des femmes ; ceux qui appuient le féminisme tant qu’il ne remet pas en cause leurs propres pratiques. L’auteur oppose ainsi l’allié sincère à l’allié dont les comportements restent imprégnés de domination masculine.
Il rappelle également un fait incontournable : la très grande majorité des violences faites aux femmes est commise par des hommes. Le féminisme exige donc de ces derniers une prise de responsabilité, un examen critique de leurs comportements et de ceux de leur entourage, ainsi qu’une implication active dans la lutte contre la culture du viol.
L’ouvrage se clôt sur un guide pratique destiné aux hommes, soulignant que leur engagement féministe relève d’abord d’un travail intérieur plutôt que d’une simple adhésion politique. Pour être un véritable allié, un homme ne doit pas chercher son propre accomplissement à travers le féminisme ni y trouver une nouvelle forme de légitimité. Son chemin passe plutôt par un renoncement réel à ses privilèges - un véritable désempowerment — et par la déconstruction des modèles de virilité qui façonnent son identité. C’est dans cette optique, précise l’auteur, qu’il faut distinguer « le vrai homme » produit par la société de « l’homme véritable », capable de se libérer des modèles imposés.
En bref, l’essai de Dupuis-Déri propose un diagnostic clair des limites de l’engagement masculin dans le féminisme et ouvre des pistes pour une participation authentique, non toxique, qui place réellement l’émancipation des femmes au centre des préoccupations.