LABELLE, Élisabeth- Quand la politique fait fuir les femmes 186p Rappel intéressant des combats menées par des politiciennes québécoises
MORRIGAN, Mathilde - Sans patriarcat 256p - Un angle déjà connu des normes masculines
DUPUIS-DÉRI, Francis - Les hommes et le féminisme : Faux amis, poseurs ou alliés ?128p - Des pistes d’analyse véritablement éclairantes. Coup de ❤️ pour cet ouvrage.
Depuis quelque temps, le discours masculiniste occupe une place démesurée sur les réseaux sociaux comme dans l’espace politique. Il se déploie sur de multiples plateformes, alimente un sentiment d’urgence fabriqué et prétend parler au nom d’un « masculin » supposément menacé. Plutôt que de m’attarder aux figures masculinistes qui l’incarnent, je m’appuie sur les analyses d’Élisabeth Labelle, de Mathilde Morrigan et de Francis Dupuis-Déri, qui convergent vers un même constat : le patriarcat demeure un système structurant, influençant la politique, la culture, la vie sociale et les rapports entre les sexes. Chacun, à partir d’un angle propre en dévoile les mécanismes, les impasses et les voies possibles de transformation.
Labelle explore le patriarcat au cœur de l’arène politique. Elle montre comment la politique reste un espace conçu selon des normes masculines, où les femmes doivent redoubler d’efforts pour être jugées crédibles, légitimes et « à leur place ». Les mécanismes qu’elle décrit dévoilent un champ politique encore profondément marqué par des valeurs, des pratiques et des codes masculins. Exemple de mécanismes : surcharge mentale, exigences contradictoires (être fortes ou féminines mais pas trop, compétentes mais invisibles, empathiques mais pas émotives, disponibles en tout temps mais discrètes sur la vie familiale, exemplaires mais pas trop militantes, consensuelles mais capables de trancher, présentes dans l’espace public mais silencieuses sur le sexisme), exclusion des réseaux informels, violences et intimidation envers les élues. Labelle met en avant la nécessité d’espaces de solidarité féminine - pour contrebalancer la persistance du boys club - comme le Cercle des parlementaires féminines de l’Assemblée nationale. Elle démontre que la démocratie reste fondamentalement inachevée tant qu’elle exclut, symboliquement ou matériellement, une partie des femmes. Un exemple révélateur de cette lente reconnaissance des besoins réels des élues et des employées de l’Assemblée nationale du Québec est l’ouverture - tardive - d’une halte-garderie, Le Conseil des petits trésors, finalement inaugurée en septembre 2023.
Morrigan élargit ce diagnostic. Elle démontre que les obstacles vécus par les femmes en politique sont l’expression d’un système beaucoup plus vaste : un ordre patriarcal ancré dans l’histoire, la religion, la culture, l’éducation et les représentations symboliques. Pour elle, la socialisation genrée, les mythes fondateurs (saviez-vous qu’Adam a eu 2 femmes ?), le contrôle du corps féminin (contraception, avortement…), l’assignation à la maternité, la culture du viol, ou encore la montée du masculinisme ne sont pas des dérives isolées : ils forment un continuum qui modèle en profondeur les comportements, les aspirations, les corps eux-mêmes. Ce que Labelle observe dans l’espace politique, Morrigan le cartographie dans l’ensemble du social.
L’apport de Francis Dupuis-Déri complète ce tableau en éclairant une dimension souvent négligée : le rôle, à la fois nécessaire et problématique, des hommes dans les luttes féministes. Son enquête historique et internationale montre que leur participation est ancienne, mais traversée de tensions de pouvoir : prise de parole excessive, recherche de valorisation personnelle, théorisation à la place des femmes, engagement conditionnel tant que leurs pratiques ne sont pas réellement bousculées. Il rappelle aussi une donnée fondamentale : la majorité des violences faites aux femmes sont commises par des hommes. Pour Dupuis-Déri, le féminisme exige donc des hommes bien plus qu’un appui théorique : une véritable transformation personnelle. Cela passe par un examen critique de ses comportements, un renoncement concret à ses privilèges - un réel désempowerment - et une déconstruction des modèles de virilité hérités des normes sociales, plutôt que du féminisme lui-même. D’où sa distinction entre « le vrai homme », produit par le patriarcat, et « l’homme véritable », capable de s’en affranchir.
Il propose un petit guide du désempowerment masculin : Laisser les luttes aux féministes et se considérer comme auxiliaires (par exemple, s’occuper de la logistique ou du ménage avant ou après un événement féministe). Éviter la facilité : lorsque des féministes confient des tâches associées à la masculinité, en profiter pour les faire avec elles, afin d’assurer partage et transfert de compétences. Reconnaître que les hommes ne sont ni essentiels ni toujours bienvenus ; ne pas attendre qu’on nous explique le féminisme : se former soi-même. Pratiquer l’écoute active, éviter d’interrompre, de reformuler à leur place, ou de ramener la discussion à soi ; se rappeler que si nous comprenons le patriarcat, ce sont elles qui le subissent. Assumer nos privilèges, plutôt que les nier. Éviter toute drague manipulatrice et être attentif au consentement. Rompre la solidarité masculine, surveiller ses propres comportements et intervenir lorsque d’autres hommes manifestent du sexisme.
Ensemble, Labelle, Morrigan et Dupuis-Déri composent une analyse cohérente du patriarcat : Labelle révèle comment il se manifeste dans les institutions politiques. Morrigan en expose les racines culturelles, historiques et symboliques. Dupuis-Déri en analyse les effets sur les hommes et la manière dont ils doivent s’auto-transformer pour ne pas reproduire les logiques de domination.
Leurs analyses convergent vers un même horizon : transformer durablement la société suppose à la fois de repenser nos institutions, de déconstruire les structures culturelles de la domination et d’impliquer les hommes dans un véritable travail de remise en question, où l’émancipation des femmes devient un principe directeur. Ensemble, ces trois angles montrent que réinventer la démocratie et libérer les femmes du poids des normes patriarcales passe autant par les luttes collectives que par une transformation intime, politique et sociale des manières d’être un homme.
Toujours dans la thématique du patriarcat, le dictionnaire Le Robert indique que le terme « masculinisme » fait partie des dix mots les plus consultés sur son site en 2025. Dans la Presse du 10 décembre, on y lit que des élues républicaines critiquent vivement Mike Johnson, président de la Chambre, connu pour son adhésion à un christianisme évangélique profondément patriarcal.