RÉSUMÉ
LA VOIE DES KAMI
À travers la voie des kami - des petits esprits - Amélie Nothomb présente les fondements du shinto - religion japonaise axée sur l’harmonie avec la nature, la purification spirituelle et le respect des traditions. Contrairement à l’Occident, où la nature est perçue comme extérieure, les Japonais se sentent intimement liés à la nature, comme en témoigne l’art du jardin japonais. Les arbres y sont taillés de façon à ne jamais écraser le visiteur. Ils restent à hauteur d’homme, non pour les réduire, mais pour rappeler que l’être humain n’est pas un spectateur distant, mais un élément du paysage, une parcelle du vivant.
Les rituels shintoïstes incluent des offrandes alimentaires (shinsen) dans les sanctuaires, déposées devant l’autel où réside le kami. Une fois retirées, ces nourritures sacrées peuvent être consommées ou redistribuées. Des cérémonies de purification permettent également d’honorer et d’apaiser les esprits.
Le Mont Fuji, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2013, reste un site majeur de pèlerinage. Il est habité par un kami associé à la floraison des arbres et au feu du volcan. Gravir la montagne est considéré comme un acte de purification.
Mais Nothomb rappelle aussi les dérives du shinto, devenu culte d’État à l’ère Meiji, utilisé à des fins nationalistes et militaristes, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale avec les kamikazes.
Après 1946, le shinto retrouve sa fonction spirituelle et symbolique, recentré sur la quête d’harmonie avec les forces invisibles de la nature.
LA VOIE DU BOUDDHISME
À partir du VIᵉ siècle, le bouddhisme arrive au Japon depuis la Chine et la Corée. Progressivement, il se mêle aux croyances autochtones, notamment au shinto, donnant naissance à une forme spirituelle proprement japonaise. Le temple bouddhiste Tôdai-ji, fondé au XIIIᵉ siècle, illustre cette fusion. Gardé par un kami shinto, ce temple symbolise l’union entre la tradition ancestrale japonaise et la religion venue du continent. Ce bouddhisme devient aussi un outil d’unification politique.
Aujourd’hui encore, le Tôdai-ji est un lieu actif et classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il accueille diverses branches du bouddhisme, notamment :
Le bouddhisme de la Terre Pure, qui enseigne que la simple récitation du nom du Bouddha Amida suffit à atteindre la délivrance. Cette voie simple et ouverte à tous rend la spiritualité accessible, même aux plus modestes.
Le bouddhisme zen, centré sur la méditation et la pleine conscience, invite à renoncer aux illusions pour atteindre l’éveil. Pour Amélie Nothomb, cet éveil est une connexion immédiate au réel, comparable à un coup de foudre, ou à l’instant précis où un enfant fait du vélo sans roulettes, ou encore au choc d’un caillou sous le pied.
Enfin, elle suggère que le bouddhisme offre, dans le monde contemporain, un chemin intérieur capable de réconcilier modernité et spiritualité, en nous aidant à accepter le réel tel qu’il est, sans attachement ni illusion.
LA VOIE DU GUERRIER
Amélie Nothomb explore la figure du samouraï, emblème de la culture japonaise, à travers des objets exposés au musée Guimet : armes, armures et estampes. Les samouraïs apparaissent au XIᵉ siècle dans un contexte de guerres féodales pour le contrôle du riz. À partir du XIIᵉ siècle, ils forment un régime militaire dirigé par le shogun. L’époque d’Edo (1600–1868), marquée par la paix, transforme les samouraïs en administrateurs cultivés, tout en conservant leur place au sommet de la pyramide sociale (juste en dessous du shogun et de l’empereur).
Le Bushidō, ou voie du guerrier, incarne une philosophie de vie : droiture, courage, fidélité, respect, et capacité à affronter la mort avec dignité. Même désœuvrés, les samouraïs continuent à vivre selon ce code d’honneur. Des figures comme les 47 rônins, samouraïs sans maître ayant vengé leur seigneur avant de se suicider rituellement, illustrent leur loyauté.
Les femmes samouraïs, bien que rares, ont existé, notamment Nakano Takeko, qui mena un bataillon féminin en 1868.
Le samouraï est décrit comme un être à la fois guerrier et méditatif, dont la quête intérieure d’équilibre et d’excellence dépasse la seule fonction martiale.
Aujourd’hui, l’esprit du Bushidō survit dans les arts martiaux, dans la culture populaire (tels mangas, films), et dans l’éthique japonaise du travail.
Amélie Nothomb confie, avec pudeur et lucidité, avoir été un jour fiancée non pas à un guerrier du passé, mais à un homme contemporain habité par l’esprit du bushidō, imprégné de rigueur, de silence et de loyauté inébranlable. Elle rompit, incapable alors de comprendre la nature de cet amour si codifié, si exigeant. Ce n’est que des années plus tard, à la lumière de ses découvertes sur la voie du sabre, qu’elle réalise ceci : elle n’avait pas quitté un homme, mais une conception du monde qu’elle ne savait pas encore lire.
LA VOIE DE L’ÉLÉGANCE
Une esthétique japonaise de l’éphémère et de l’écoute Le Kōdō, l’art de l’encens, au Japon on « écoute » le parfum dans une attitude d’humilité envers l’éphémère. Des bois précieux y sont chauffés pour dégager des fragrances subtiles, presque spirituelles, évoquant mémoire et émotion.
Elle évoque un samouraï préférant un bois rare à une terre entière, tant ce parfum liait vie et mort. Des jeux raffinés comme le kumikō, où l’on doit reconnaître des senteurs inspirées de poèmes anciens, font du Kōdō une expérience intérieure, méditative, et collective.
Une esthétique du surnaturel Nothomb évoque l’imaginaire japonais peuplé de yōkai, figures surnaturelles ambivalentes, où se mêlent fascination et crainte de l’altérité. Elle admire les œuvres du Studio Ghibli, et se reconnaît dans la princesse Kaguya, figure de solitude et de beauté lunaire.
Une esthétique entre élégance sociale et rigueur silencieuse Le Japon valorise une esthétique du silence et de la retenue : art du haïku, du détail, du dépouillement. Mais derrière cette élégance se cache une rigueur sociale sévère, où les émotions doivent être réprimées. Elle dénonce les effets de ce contrôle
Mort par surmenage (karōshi). Dans Stupeur et tremblements, Nothomb décrit le monde de l’entreprise japonaise comme une hiérarchie impitoyable, où l’obéissance prime sur l’individu.
Solitude extrême (hikikomori i.e. refus persistant de quitter la maison, un manque d'intérêt pour l'école ou le travail, et une dépendance financière envers les parents).
Violences enfouies comme les meurtres passionnels tolérés, comme le terrorisme de la secte Aum. - Le 20 mars 1995, dans le métro de Tokyo, des membres de la secte Aum Shinrikyō perpétraient un quintuple attentat au gaz sarin ; des attaques coordonnées qui allaient causer la mort de quatorze personnes, faire plusieurs milliers de blessés et laisser une empreinte profonde dans la société civile japonaise. - Créé sous la forme d'un modeste atelier de yoga en 1984, Aum Shinrikyō allait, en quelques années, devenir tout à la fois : 1- une organisation commettant sur ses adeptes des crimes violents (extorsions, séquestrations, empoisonnements, homicides…) 2- une organisation recourant à l'assassinat ciblé (journalistes, avocats, magistrats, policiers…), 3 - un groupe criminel fabriquant des drogues illicites 4 - un pôle de recherche et de fabrication d’armes : espionnage dans des entreprises et universités 5- un groupe terroriste, auteur d’une vingtaine d’attentats de masse, dans le but d'instaurer un nouvel ordre mondial.
Une esthétique de la littérature, de lumière et d’ombre Nothomb ne rejette pas ce modèle : elle admire sa discipline, son raffinement et son mystère. Elle chérit la littérature japonaise, de Mishima à Murakami, pour son alliance entre douleur et beauté, et loue le goût de l’ombre, du secret, du non-dit, contre l’idéologie occidentale de la transparence. Le pavillon de thé, avec ses cloisons de papier de riz, symbolise cette lumière tamisée où le silence devient une forme supérieure de langage.
IMPRESSIONS
Nothomb ne parle pas du Japon : elle l’aime. Et cet amour éclaire chaque ligne de son récit.
AUTRES COMMENTAIRES
Si vous souhaitez vous imprégner de la culture japonaise, quelques propositions d’écrivains japonais
Durian Sukekawa - Les délices de Tokyo (2013) et film en 2016
Murakami Haruki I84 3tomes (2010) et L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage (2014)
Hisashi Kashiwai Le restaurant des recettes oubliées 3 tomes (2024)
Ito Ogawa - Le Restaurant de l'amour retrouvé (2008) et La Papeterie Tsubaki 3 tomes (2016)
Inoue Yuki - Mémoires d’une geisha (1979) ❤️
Aki Shimasaki romancière québécoise née au Japon - Une clochette sans battant 5 tomes (2023)