CONTEXTE
Dans ce quatrième titre de la collection Jean-François Lisée raconte, l’auteur nous plonge dans une étape de l’histoire du Québec moderne, en nous faisant entrer cette fois dans un univers parallèle, celui des espions qui venait dans le froid québécois.
RÉSUMÉ
Pendant quinze ans, les espions français au Québec obsèdent Ottawa, Québec et Washington. La GRC voit leurs ombres rôder autour des premières cellules du FLQ et cherche à relier ces suspects aux services secrets de Paris. Officiellement, les hommes de De Gaulle défendent l’indépendance du Québec et les droits des francophones au pays. Officieusement, certains sont soupçonnés d’opérations clandestines : collecte d’informations, coups de pouce discrets aux souverainistes. Parmi eux, Rossillon, militant acharné, réapparaît régulièrement au détour d’enquêtes — au point d’arracher à une ministre : « Oh my, pas encore lui ! » La tolérance du génétal De Gaulle envers le FLQ aura cependant des limites.
Dans le Montréal des années 1960-70, on croise CIA, KGB, agents français et cubains. Taupes, vols de documents, bombes artisanales, incendies suspects. La GRC infiltre, écoute, file… et parfois dérape, comme lorsqu’elle incendie une grange en Estrie plutôt que d’y poser des micros.
En 1969, elle vise les « éléments subversifs » : Stanley Gray, professeur à McGill, est arrêté le jour même d’une manifestation monstre pour la francisation de l’université. Plus tard, il sera prisonnier d’Octobre.
Lors de la crise d’Octobre 1970, Richard Nixon apparaît sous deux visages contrastés. Officiellement, le président américain se montre prudent et diplomatique, cherchant à éviter une escalade qui pourrait déstabiliser le Canada et ternir l’image des États-Unis sur la scène internationale. En coulisses, cependant, il adopte une posture stratégique, considérant la situation comme une opportunité pour affirmer l’influence américaine et peser sur la politique intérieure canadienne. Cette dualité reflète la complexité de la gestion américaine face aux crises étrangères : entre prudence publique et manœuvres secrètes, Nixon navigue à la frontière du soutien et de l’opportunisme politique.
Castro, le Québec et le Canada : diplomatie, espionnage et influence
À Montréal et Ottawa, les antennes cubaines jouent un rôle central dans les opérations d’espionnage sur le territoire américain. Trois agents armés défendent leurs locaux et détruisent des documents lors d’un incident, officiellement attribué à des commandos anticastristes venus des États-Unis. En réalité, l’opération visait à récupérer des documents ensuite analysés par la GRC et la CIA. Dans ces archives, les services canadiens découvrent des listes de militants du mouvement séparatiste québécois, certains étant soudoyés, pressurés idéologiquement ou recrutés comme informateurs et provocateurs.
La révolution cubaine, populaire au Québec à la fin des années 1950 et dans les années 1960, inspire certains cercles du mouvement indépendantiste. Montréal et Ottawa deviennent des points névralgiques où se mêlent diplomatie, espionnage et influence politique. L’alignement du Canada sur l’embargo américain contre Cuba attire la colère de la diaspora anticastriste et provoque menaces et attentats, allant de cargos cubains visés à des maisons d’enchères locales.
Malgré cette tension, Cuba adopte une posture ambiguë : le régime encourage le séparatisme québécois tout en assurant, par un message personnel au nouveau Premier ministre canadien, qu’il ne souhaite pas compromettre l’intégrité nationale du Canada. Pendant la crise d’Octobre 1970, les Cubains collaborent même indirectement avec Ottawa pour aider à dénouer la situation, notamment après l’enlèvement du diplomate James Cross par le FLQ.
Plus tard, lors de la cérémonie funéraire de Fidel Castro à Montréal, la présence de représentants cubains et de dignitaires américains, encadrée par la GRC, témoigne de la complexité et de la longévité des liens entre Cuba et le Canada, faits de méfiance, d’influence politique et de coopération ponctuelle.
Aux Jeux de Montréal, la CIA se joint à la GRC pour surveiller les délégations de l’Est. La coopération tourne vite à la rivalité : Washington détourne les moyens canadiens à son profit.
Lisée se souvient : Claude Morin, ministre de Lévesque, agent de la GRC. Un tiers des informateurs de la fonction publique - fédérale, provinciale, municipale - alimentent les services secrets. Aux côtés de Parizeau, il prépare la stratégie référendaire en vase clos : portes fermées, pas de téléphone, documents remis en main propre. Étaient-ils espionnés ? Le SCRS détient-il encore des taupes dans la vie politique québécoise ?
Lisée rapporte aussi des anecdotes révélatrices. Dans une revue américaine ultra-conservatrice, on lit que Pierre Elliott Trudeau serait une taupe soviétique infiltrée au sommet de l’État canadien. Ailleurs, un chroniqueur québécois rapporte une conversation saisie en France avec Jacques Parizeau. Autant d’exemples, selon lui, qui démontrent que l’information, qu’elle émane de l’intérieur ou de l’étranger, n’est jamais neutre : elle sert toujours des intérêts politiques. Et Lisée de s’indigner : malgré les millions engloutis dans les espions, les satellites et les informateurs, personne à Ottawa n’a été capable de prévenir le premier ministre canadien de ce qui se tramait - notamment lorsque plus d’une centaine de personnes, à Québec, préparaient en coulisses la période référendaire.
Au final, le Québec a passionné les grandes puissances durant la guerre froide… mais n’a déclenché queq peu d’actions. Beaucoup d’yeux braqués sur lui, peu de mains qui agissent.
IMPRESSIONS
Peu portée sur les récits d’espionnage et de contre-espionnage, j’ai abordé cette étape de l’histoire québécoise avec une certaine réserve. Mais il faut reconnaître que Jean-François Lisée, féru d’histoire et excellent conteur, en analyse les rouages avec une expertise approfondie.
La CIA et la GRC ont-elles scellé un pacte tacite leur interdisant d’envoyer leurs espions fouiller dans les secrets nationaux de l’autre ? Peut-on encore faire confiance au NORAD, cette organisation binationale canado-américaine chargée de la surveillance de l’espace aérien et maritime nord-américain et de l’alerte en cas d’attaque aérospatiale ? Comme le souligne De Granmont dans La Presse du mercredi 13 août 2025, faut-il désormais s’inquiéter de la fiabilité de ces renseignements à l’ère Trump ?