BEDORET - CORTEN - KLEIN - De Salamanque à Guantanamo. Une histoire du droit international
Dans le cadre d’un cours d’introduction au droit international, notre professeure nous a recommandé cette bande dessinée étonnamment riche. Elle retrace, depuis les premières doctrines de la « guerre juste » au XVe siècle jusqu’aux crises contemporaines, la manière dont les États ont construit un ensemble croissant de règles et d’institutions pour encadrer leurs actions au-delà de leurs frontières.
L’ouvrage souligne toutefois une tension fondamentale : le droit international se présente comme universel, mais son application reste largement sélective. Interventions armées, usage stratégique des tribunaux, régimes d’exception comme Guantanamo : les grandes puissances continuent d’en façonner les contours selon leurs intérêts. Héritier des rapports de domination coloniaux et des asymétries Nord/Sud, ce droit n’est jamais neutre.
Malgré l’essor des droits humains et du droit humanitaire, l’ordre juridique international est aujourd’hui fragilisé par la multiplication des régimes d’exception, le contournement des normes et l’affaiblissement du multilatéralisme. D’où la question qui traverse la BD : le droit international peut-il encore prétendre à une justice véritablement universelle ?
BUSSI, Michel - Mon cœur a déménagé ❤️ Thriller 400p
Michel Bussi construit son roman autour de deux figures féminines en miroir qui éclairent la trajectoire affective du narrateur et la question centrale : qu’est-ce qui fait qu’un cœur « déménage » d’une personne à une autre ? Nina, marquée par une enfance sous emprise et sans amour sain, devient une survivante qui découvre l’amour comme un territoire entièrement nouveau. Folette, au contraire, n’a pas été séduite mais brisée : arrachée à sa mère, elle développe à 7 ans une logique de vengeance simple et absolue : on a tué ma maman, je dois punir le coupable. Elle ne cherche pas l’amour, mais la réparation, avec les moyens limités de l’enfant qu’elle est restée. Nina incarne ainsi l’avenir possible, la guérison ; Folette incarne le passé blessé.
Le roman s’articule autour de ce déplacement du cœur : passer d’une douleur héritée - celle de l’abus, de la peur ou de la vengeance - vers un amour qui permet enfin de se reconstruire, un lien fondé sur la douceur, la confiance et la réparation.
CHAVAGNÉ, Pierre - Abena ❤️ Littérature française 200p
Le roman explore avec finesse les mécanismes de la perception, de la mémoire et de l’erreur humaine.
Au cœur d’un massif enneigé, Kofi et sa sœur Abena la milice de gardes-frontières lancée à leurs trousses. Dans leur errance glaciale, ils croisent Caïn, un marginal qui leur offre son aide. Ensemble, ils trouvent refuge en altitude chez un étrange couple d’ermites.
Mais la situation qui se dégrade dans la vallée - et dans tout le pays - les force à hiverner ensemble, coupés du monde. Ce confinement prolongé éprouve la petite communauté : chacun doit panser ses blessures, apprendre à s’organiser, chercher de quoi survivre, tout en redoutant le groupe armé qui continue de patrouiller à leur recherche.
À travers ses protagonistes, Chavagné montre que l’existence se compose d’erreurs qui, à force d’être vécues, finissent par devenir des vérités intimes. Chaque personnage porte en lui un point aveugle singulier, véritable moteur de sa trajectoire. L’écriture compose ainsi un réseau complexe de faits vus, mal vus, interprétés ou déformés, où la vision est toujours hésitante, toujours incertaine.
Le roman est profondément tragique. Certaines erreurs ne se rattrapent pas, certaines révélations arrivent trop tard, et certains destins se jouent sur une mauvaise interprétation - un geste mal compris, un mot interprété de travers.
Comme l’énoncent ces extraits : « Certaines erreurs ne se corrigent pas, on doit vivre et mourir avec. » De même, « sa vie s’achève sur un quiproquo… Ne jamais se fier à ce qu’on voit. » Ces phrases condensent l’essence du roman : une méditation lucide et douloureuse sur la fragilité de notre regard et les illusions qui façonnent nos vies.
DORION, Catherine - Les têtes brûlées : carnets d’espoir punk 375p
Un essai éclaté, un appel à une politique plus humaine, plus incarnée, plus rebelle. Une politique punk, c’est-à-dire une politique qui préfère l’imperfection à la façade, le geste sincère à la procédure, l’audace à la peur de déplaire. Une politique qui ose recommencer autrement.
Pour le plaisir de l’analyse, j’ai comparé le style politique de Catherine Dorion, Pauline Marois et Françoise David, trois femmes qui incarnent des rapports très différents au pouvoir et à la démocratie au Québec.
Le rapport au pouvoir. Catherine Dorion se situe dans une position de rupture : elle critique frontalement les conventions parlementaires et refuse les codes qui, selon elle, étouffent la parole citoyenne. Pauline Marois, au contraire, incarne l’exercice du pouvoir dans toute sa complexité : gestion rigoureuse, maîtrise de l’appareil d’État, sens de la continuité administrative. Françoise David adopte une posture de médiation, cherchant à faire entrer les revendications des mouvements sociaux dans l’institution sans en renier l’esprit.
À travers leur vision de la démocratie. Dorion privilégie une démocratie communautaire, fondée sur la solidarité locale, l’autonomie des groupes et la décision à petite échelle, loin des élites et des grandes structures centralisées. Marois défend une démocratie institutionnelle, stable, ordonnée, où l’État demeure l’outil principal de transformation. David mise sur une démocratie participative et sociale, porteur de luttes citoyennes.
Leurs styles et langages diffèrent tout autant. Dorion adopte un style poétique, irrévérencieux, déstabilisant, -choquant diront certains-es- qui refuse les formes parlementaires traditionnelles. Marois privilégie un langage précis, technocratique, fonctionnel, au service de la gouvernance. David s’exprime sur un mode pédagogique, empathique et accessible, cherchant toujours à rassembler.
Leur conception de l’engagement. Pour Dorion, l’engagement passe par l’intensité, la créativité et le refus du moule institutionnel. Pour Marois, il repose sur la responsabilité, la continuité et la transformation graduelle de l’intérieur. Pour David, il est marqué par la solidarité, l’ancrage militant et la volonté de transmettre.
La vision du Québec. Dorion voit un Québec à réinventer, en profonde refonte. Marois imagine un Québec moderne, efficace, souverain. David rêve d’un Québec solidaire, égalitaire et participatif.
MAROIS, Pauline - Au-delà du pouvoir 2020 375p
GERVAIS, Lisa-Maria - Du cœur au combat Françoise David en cinq temps. 2022 176p
Après avoir lu Pauline Marois, j’ai voulu confronter son parcours à celui de Françoise David.
Marois incarne ce que signifie être au pouvoir - les compromis, la responsabilité - , tandis que David illustre l’engagement citoyen - les mobilisations, les revers, la fidélité aux idéaux. Marois écrit en pionnière, consciente d’avoir ouvert la voie aux femmes en politique ; David écrit en héritière et passeuse, cherchant à transmettre ses luttes et son espoir aux générations futures. Leurs récits dialoguent à travers la mémoire politique québécoise, révélant deux chemins féminins vers la justice et l’égalité : l’un par les institutions, l’autre par la solidarité.
Françoise David accorde une grande importance à la langue comme outil d’égalité. Dans ses écrits et interventions, elle pratique une écriture inclusive, mentionnant systématiquement les deux genres — il et elle, les citoyen·ne·s, les travailleur·se·s — afin de rendre les femmes visibles dans le discours public. Ce choix, à la fois politique et symbolique, prolonge son féminisme structurel : pour elle, l’égalité ne se limite pas aux lois, mais doit aussi habiter la parole, l’écriture et la pensée. Par son usage du langage, elle crée un espace de justice symbolique, où chaque individu, femme ou homme, est reconnu dans son humanité et sa citoyenneté.
La lecture de Pauline Marois éclaire les mécanismes du pouvoir et des institutions, tandis que celle de Françoise David fait vivre une expérience humaine et militante, tournée vers la solidarité et l’équité. Marois parle à l’intellect, David au cœur : l’une instruit, l’autre inspire.
KITSON, Mick - Poids plume ❤️ Roman social 360p
Annie Perry était arrière-grand-mère de Mick Kitson - auteur écossais. Elle était la petite-fille de William Perry - le Slasher de Tipton (1819-1880 ). Enfants, son frère et elle ont entendu d’innombrables histoires sur le Slasher. Ces histoires faisaient toutes partie d’une mythologie familiale élaborée par sa grand-mère.
Dans Poids plume, Annie Perry, l'héroïne, raconte son abandon par sa famille gitane, trop pauvre pour l'élever dans cette fin du XIXe siècle à l’époque industrielle. Elle est vendue à un champion de boxe à mains nues. Tout ce qu’elle a pensé, ressenti et fait, a été provoqué par le besoin d’argent. L’argent : le besoin qu’on en a, l’amour, la convoitise et la peur qu’il inspire. C’était pour ça qu’elle avait été vendue et pour ça qu’elle a appris à se battre.
Un très beau roman où l'art du pugilat cache aussi l'art de prendre en main sa vie, surtout lorsqu'on fait partie des plus faibles - pauvres, femmes ou enfants.
LABELLE, Elisabeth - Quand la politique fait fuir, les femmes : un système à réinventer.
Essai politique, 186 pages
Élisabeth Labelle montre que la politique reste un espace dominé par les hommes, où les femmes sont constamment jugées à l’aune de normes masculines : trop dures si elles s’y conforment, trop fragiles si elles s’en écartent. Cette culture entretient des stéréotypes qui limitent l’imaginaire des jeunes filles et freinent leur accès au pouvoir.
L’autrice insiste sur deux obstacles majeurs : la culpabilité et la conciliation politique-famille, vécues par Pauline Marois, Valérie Plante, Françoise David ou Catherine Dorion ; le boys’ club, qui exclut les femmes des réseaux informels où se prennent les décisions.
Pour y remédier, Labelle valorise les espaces de solidarité féminine - Cercle des femmes parlementaires, comités de mentorat, groupes de soutien - essentiels pour créer des réseaux d’entraide et d’influence. L’enjeu n’est pas seulement d’avoir plus de femmes en politique, mais plus de femmes féministes en postes de pouvoir.
Dans un contexte de montée du masculinisme et de violence envers les élues, Labelle appelle à renforcer la protection des politiciennes et à transformer en profondeur la culture politique afin d’assurer une participation durable et équitable des femmes.
MORRIGAN, Mathilde - Sans Patriarcat
Essai 253p
Mathilde Morrigan imagine ce que seraient nos vies sans patriarcat, ce système qui place les hommes au centre du pouvoir politique, économique et familial, et s’entrelace avec le racisme, le capitalisme et l’hétéronormativité.
Elle rappelle l’héritage long des luttes féministes, de Olympe de Gouges en 1791 à #MeToo, et souligne que la domination masculine est un construct social, non une fatalité. Les mythes (Ève, Lilith), la philosophie antique (Platon, Aristote) et la religion ont façonné une vision d’infériorité féminine encore active aujourd’hui.
Le patriarcat commence dès l’enfance : éducation genrée, stéréotypes, sport valorisant les garçons, interdiction faite aux hommes d’exprimer leurs émotions. Il contrôle ensuite les corps : normes de beauté pensées pour le regard masculin, culpabilisation de la sexualité, charge mentale accrue, injonction à la maternité.
Morrigan aborde aussi la culture du viol, les violences sexuelles et les atteintes au droit à l’avortement, comme au Texas, rappelant les solutions inventées par les féministes (méthode Karman).
La question finale demeure : pourquoi le patriarcat tient-il encore debout ? Parce qu’il se renouvelle sans cesse, se mêle aux autres formes de domination et se cache dans les mythes, l’éducation, les normes de beauté, la morale religieuse, les lois et les discours quotidiens. Parce que des millions de femmes sont toujours excisées pour renforcer un pouvoir masculin sur leurs corps. Parce que les mouvements masculinistes s’imaginent vivre dans une matrice dirigée par des femmes cruelles et manipulatrices. Parce qu’une femme violée doit répondre à la question : « Tu faisais quoi ? Tu étais habillée comment ? Tu ne l’as pas un peu cherché ? » Le patriarcat persiste parce qu’il forme une toile si profonde, si diffuse, que l’imaginer disparu revient à repenser entièrement la société - et notre manière même d’exister.
LABELLE, Elisabeth - Quand la politique fait fuir, les femmes : un système à réinventer.
MORRIGAN, Mathilde - Sans patriarcat
Les liens entre deux angles du système patriarcal
Les analyses d’Élisabeth Labelle et de Mathilde Morrigan convergent : le patriarcat structure encore en profondeur nos institutions, nos imaginaires et nos vies quotidiennes.
Labelle démontre comment la politique demeure un espace façonné par des normes masculines, où les femmes doivent se battre pour exister, être crédibles et accéder au pouvoir. Morrigan élargit ce constat à l’ensemble de la société, en montrant que ces normes ne sont pas naturelles mais le produit d’une construction historique, religieuse et culturelle qui commence dès l’enfance et modèle les corps, les comportements et les aspirations.
Les mécanismes décrits par Labelle - culpabilité, surcharge familiale, exclusion des réseaux informels, violence envers les élues - sont des manifestations concrètes du patriarcat que Morrigan analyse dans une perspective plus large : mythes fondateurs, stéréotypes de genre, contrôle du corps féminin, assignation à la maternité, culture du viol, montée du masculinisme. Ce que l’une observe dans l’espace politique, l’autre le retrace dans toute la société.
Labelle insiste sur la nécessité de créer des espaces de solidarité féminine pour contrebalancer le boys club. Morrigan montre pourquoi ces espaces sont vitaux : parce que le patriarcat se renouvelle, se dissimule et persiste en s’imbriquant avec d’autres dominations (racisme, capitalisme, religion), rendant indispensable la constitution de réseaux féministes - ex. le Cercle des parlementaires féminines à l’Assemblée nationale - capables de résister et de transformer les structures existantes.
Enfin, les deux autrices partagent un même diagnostic : pour Labelle, la montée du masculinisme et les violences envers les élues menacent directement la présence des femmes en politique. Pour Morrigan, ces phénomènes s’inscrivent dans une logique patriarcale mondiale où l’excision, la culture du viol ou les fantasmes masculinistes ne sont pas des anomalies, mais des expressions d’un système qui défend ses privilèges.
En somme, Labelle analyse le patriarcat dans l’arène politique ; Morrigan en dévoile les fondations culturelles, historiques et sociales. Ensemble, leurs œuvres montrent que repenser la place des femmes en politique exige de déconstruire le patriarcat dans toutes ses dimensions - de l’éducation aux mythes, du corps aux institutions - pour transformer durablement la société.
VAREILLE, Marie - Les désenchantées ❤️ Littérature française 380p
Le récit raconte le passage douloureux de l’adolescence à l’âge adulte, où illusions, amitiés et identités se fissurent. Le roman montre des adolescentes qui, prises dans l’intensité de leurs émotions, vivent une période où tout semble trop fort : les amitiés fusionnelles, les attentes familiales, la peur de décevoir et la pression sociale omniprésente. Leur lien d’amitié, à la fois refuge et source de tension, se construit autour de secrets et de non-dits qui finissent par peser lourdement sur chacune d’elles. À travers ces silences, Vareille met en lumière la difficulté qu’ont les adolescentes à exprimer leur souffrance, à demander de l’aide, et à reconnaître leur propre fragilité.
Le roman dévoile comment la honte, la culpabilité et le besoin de se conformer peuvent enfermer les jeunes dans un malaise profond. Les relations familiales, souvent défaillantes ou envahies par des attentes irréalistes, participent à cette fragilité en laissant des blessures anciennes affleurer. Les héroïnes avancent dans un monde où la performance est devenue norme, où l’on se compare sans cesse, et où il faut paraître forte même quand on s’effondre intérieurement.
L’intrigue, hantée par un événement tragique, interroge le poids du deuil et de la culpabilité, ces charges émotionnelles que les adolescentes portent souvent seules. Pourtant, malgré l’obscurité, Les Désenchantées demeure un roman sur la reconstruction. Il affirme que la vérité, si douloureuse soit-elle, peut libérer, que les liens peuvent guérir, et qu’il est possible de recoller les morceaux non pour retrouver un état d’innocence perdu, mais pour avancer avec une lucidité nouvelle.
YARROS, Rebecca - The empyrean tomes 1 1000p tome 2 1100p Dystopie - fantastique
L’envie m’a prise d’explorer le fantastique. Le premier tome de The Empyrean m’a plu, malgré quelques longueurs, parce que j’aimais profondément son héroïne Violet. Le deuxième, en revanche, m’a arrêtée autour de la millième page : trop de personnages, un monde dont les fils se mêlent au point d’égarer le lecteur, et surtout une redondance dans les hésitations amoureuses de Violet qui finit par lasser.
Violet, au départ, possède pourtant un potentiel remarquable. Fragile de corps mais tenace d’esprit, elle incarne une héroïne atypique dans un univers dystopique où la force brute domine. Sa vulnérabilité physique devient un moteur narratif : elle avance non par puissance, mais par intelligence, instinct et résilience. C’est cette tension entre faiblesse apparente et détermination farouche qui la rend immédiatement attachante. Mais au fil du deuxième tome, ce qui faisait sa singularité se dilue. Ses doutes se répètent, ses élans se contredisent, et son évolution semble prise dans une boucle émotionnelle sans véritable progrès. Violet demeure trop souvent prisonnière de ses tourments amoureux, au détriment de l’ampleur politique et mythologique de l’univers.
Reste que Violet porte en elle une idée forte : être héroïne ne signifie pas seulement triompher, mais survivre, s’adapter et apprendre. Dans les meilleurs moments du récit, elle incarne cette lutte intime contre ses propres limites - une guerre tout aussi rude que celles menées contre dragons, complots ou ennemis invisibles.