RÉSUMÉ
L’Amérique éclatée désigne une nation profondément fragmentée, traversée par des lignes de fracture raciales, économiques, idéologiques et géographiques. Le racisme structurel continue de façonner les trajectoires individuelles, nourrissant de profondes inégalités dans l’accès à l’éducation, au logement, à l’emploi et à une justice équitable. Le système scolaire public lui-même est inégal : certaines écoles, bien dotées, rivalisent avec les établissements privés, tandis que d’autres, majoritairement fréquentées par des enfants issus des minorités, souffrent d’un sous-financement chronique.
La société américaine se polarise autour de valeurs culturelles et religieuses irréconciliables. Dans plusieurs États conservateurs, le créationnisme est encore enseigné à l’école publique, au nom d’une lecture littérale de la Bible. Le fanatisme évangélique, farouchement opposé aux évolutions sociétales (droits LGBTQ+, avortement, politiques environnementales), pèse lourd sur les décisions politiques. En 2024, la Louisiane est devenue le premier État à imposer par la loi l’affichage des Dix Commandements dans toutes les salles de classe, de la maternelle à l’université, une intrusion religieuse assumée dans l’espace public.
Parallèlement, la prolifération des armes à feu, défendue au nom du 2ᵉ amendement, alimente une culture de l’insécurité, tandis que la montée des communautés survivalistes et des groupes libertariens traduit une méfiance croissante envers toute forme d’autorité étatique. Cette mentalité s’ancre dans une croyance tenace en l’autosuffisance individuelle, valorisée comme vertu fondatrice, mais qui fragilise les solidarités collectives et la cohésion nationale.
Sur le plan économique, la désagrégation du modèle fédéral se manifeste aussi dans le jeu des fiscalités locales : des États comme le Delaware ou le Wyoming servent de refuges aux grandes entreprises cherchant à échapper à toute responsabilité fiscale. Plus de la moitié des sociétés cotées en Bourse y sont enregistrées, dont 60 % des 500 plus grandes entreprises américaines, profitant d’un système opaque et permissif.
La montée en puissance des groupes religieux radicaux, la fédération de milliers d’amateurs d’armes, les campagnes électorales financées par des contributions quasiment illimitées - depuis la décision Citizens United de la Cour suprême en 2010 - aggravent cette polarisation. La politique devient le terrain d’un affrontement idéologique féroce, où les tensions raciales sont souvent instrumentalisées à des fins politiciennes, exacerbant la défiance mutuelle entre communautés.
À cela s’ajoute le déclin visible des infrastructures - routes, ponts, réseaux d’eau et d’électricité - qui trahit l’affaiblissement de l’investissement public et de la capacité de l’État fédéral à entretenir le bien commun. Ce retrait de l’État nourrit une érosion progressive de l’autorité présidentielle et des institutions centrales, de plus en plus contestées, voire contournées, par les États fédérés ou les autorités locales.
Dans ce contexte, le sentiment de déclin s’installe. Un malaise diffus, une fatigue collective traversent l’ensemble de la société américaine, mêlant nostalgie d’un âge d’or idéalisé, angoisse identitaire, perte de repères communs et désenchantement démocratique.
Enfin, les débats contemporains sur l’immigration de masse réveillent des fantasmes historiques, notamment la peur du « grand remplacement ». L’exemple du Texas, jadis territoire mexicain, progressivement colonisé par des migrants américains jusqu’à son annexion en 1845, hante aujourd’hui certains discours conservateurs : comme si l’histoire risquait de se répéter, mais cette fois au détriment des populations blanches dominantes.
Ainsi, entre le désir de sécession de la Californie, les velléités autonomistes de certains États du Sud, les dérives théocratiques, les fractures économiques, identitaires et fiscales, les États-Unis apparaissent aujourd’hui comme un archipel de nations concurrentes, unies, en apparence seulement, par une Constitution sans cesse bousculée, mais désunies dans presque tous les domaines essentiels.
IMPRESSIONS
Cet ouvrage constitue un outil pour comprendre la déliquescence progressive de l’État fédéral et de la société américaine, un phénomène qui dépasse les clivages partisans et les alternances présidentielles. L’ouvrage soulève un certain nombre de questions : Comment expliquer que les divisions sociales et idéologiques persistent, quel que soit le parti au pouvoir ? La fragmentation actuelle des États-Unis est-elle irréversible ou peut-elle encore être contenue ? Peut-on encore parler d’un modèle démocratique américain exportable ?