CONTEXTE
Une réflexion sur les liens qui unissent les régimes autocratiques du XXIe siècle, se développant au-delà des frontières idéologiques, géographiques et culturelles. Ces pays, tels que la Chine, le Venezuela, la Russie ou encore le Zimbabwe, organisent des réseaux technologiques et financiers d'entraide et s'accordent sur le rejet des valeurs démocratiques.
RÉSUMÉ
Les nouvelles autocraties
Les dictatures actuelles ne reposent plus seulement sur un chef brutal : elles fonctionnent comme des systèmes globaux, mêlant kleptocratie financière, armées parallèles, technologies de surveillance et propagande numérique. Reliées entre elles, elles forment une « Autocracy Inc. » où s’échangent pétrole, armes, ressources et savoir-faire répressif. Moscou, pivot de ce réseau, a transformé l’invasion de l’Ukraine en démonstration : les règles internationales sont devenues optionnelles. Une économie parallèle prospère, alimentée par le blanchiment, les trafics et les complicités de régimes aussi divers que la Chine, l’Iran, la Turquie ou le Venezuela. L’Occident, en misant sur le « changement par le commerce », a en réalité nourri cette coalition d’autocrates. Leur objectif n’est plus seulement d’asservir leurs peuples, mais d’exporter leurs méthodes pour affaiblir les démocraties.
C’est là que la kleptocratie apparaît comme le cœur battant d’Autocracy Inc. : non plus un accident ou une dérive, mais un système organisé et globalisé. La corruption, la captation de richesses et le blanchiment ne servent pas seulement à enrichir les élites : ils deviennent des armes de guerre politique, permettant de contourner les sanctions, d’acheter des soutiens et d’infiltrer les économies légales. La kleptocratie métastase : elle traverse les frontières, soude les régimes autoritaires entre eux et affaiblit l’État de droit jusque dans les démocraties. Ce qui n’était qu’un pari économique est devenu un boomerang politique : un capitalisme criminel et transnational, rongeant de l’intérieur les institutions censées lui résister.
Contrôler le narratif
Leur arme principale est désormais cognitive : saturer l’espace public de récits concurrents pour brouiller la vérité. La Chine verrouille par la surveillance numérique ; la Russie désoriente par la désinformation. Fake news, deepfakes, logiciels espions : ces pratiques dépassent les autocraties et contaminent même les démocraties, comme l’ont montré Trump, Bolsonaro ou l’usage de Pegasus en Europe. L’objectif n’est pas de convaincre, mais d’étouffer l’idée même de vérité et de démocratie.
Changer le système d’exploitation
Sur la scène internationale, la Chine et la Russie détournent les règles multilatérales en promouvant un ordre « multipolaire » où la souveraineté sert de prétexte à la répression et à l’invasion. Elles transforment l’ONU et les institutions globales en arènes pour légitimer leurs actions, tout en multipliant les alliances avec d’autres autocraties (Iran, Syrie, Zimbabwe, Venezuela). Leur but : verrouiller leurs régimes et miner les droits humains partout.
Salir les démocraties
Plutôt que d’éliminer massivement, les autocraties préfèrent discréditer. Diffamation, rumeurs, campagnes de haine, harcèlement judiciaire ou assassinats ciblés brisent les mouvements démocratiques en détruisant la crédibilité de leurs leaders. Cette stratégie alimente le cynisme : si « tous les politiques sont pourris », plus rien ne justifie la lutte. Elle est désormais utilisée aussi par des dirigeants élus dans des démocraties fragilisées, comme au Mexique, en Pologne ou aux États-Unis.
Démocraties unies
Pour Anne Applebaum, la riposte doit cibler les comportements autocratiques, où qu’ils apparaissent. Elle appelle à bâtir des coalitions transnationales pour traquer la corruption, appliquer des sanctions, contrer la désinformation et imposer la transparence financière. La défense de la démocratie passe aussi par la bataille du récit : offrir des alternatives émotionnelles et crédibles face aux discours de haine et de ressentiment. Mais tout dépend d’un engagement collectif : les démocraties, fragiles et divisées, ne survivront que si leurs citoyens acceptent de les défendre activement.
IMPRESSIONS
Cet ouvrage a été rédigé avant le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Or, ce président américain entretient bien plus d’affinités avec les autocrates de la planète qu’avec les dirigeants des démocraties libérales. Son mandat l’a montré : réduction ou suppression du financement de programmes soutenant la démocratie, indifférence face à la propagande étrangère, instrumentalisation de ses fonctions pour ses propres intérêts financiers. Monnayer des rencontres à Mar-a-Lago, promouvoir ses propres cryptomonnaies, accepter un avion présidentiel offert par l’Arabie saoudite, ou encore envoyer ses fils Donald Jr. et Eric signer des contrats au Moyen-Orient quelques jours avant sa propre visite officielle : autant de comportements dignes de ceux des dirigeants autocratiques qu’Applebaum dénonce dans son livre.