ARDONE, Viola - Le choix Roman social 300p
Dans son livre, l’autrice rend hommage à Franca Viola, une silicienne qui en 1981 a obtenu l’abrogation de l’article 544 du Code pénal, stipulant que le crime d’honneur devait se terminer par un mariage réparateur. L’écrivaine raconte Martorana - petit village - les us et coutumes en vigueur qui font que les femmes sont soumises. Son héroïne, Oliva, est une gamine qui s’élève violemment contre cette loi.
J’ai aimé les passages de Viola qui affirme que femme n’est pas un mot pouvant s’écrire au singulier, car il leur faut se rassembler pour exister. Individuellement, elles sont invisibles ; il faut qu’elles se rassemblent, qu’elles forment une troupe, pour que leur existence devienne incontestable. Là où un homme, pris seul, incarne déjà un poids social, une femme isolée n’est qu’une ombre. D’où la nécessité des combats, des pétitions, des manifestations : non par goût du tumulte, mais parce que la société ne leur accordait de poids qu’au pluriel.
Et pourtant, qu’est-ce que l’autorité, sinon une fiction souvent mal distribuée ? « Comment un homme, un père de famille, pourrait-il savoir ce qui est bon pour chacun juste parce qu’il porte la culotte ? » demande ce paysan. Cette lucidité dit l’essentiel : le privilège masculin, longtemps tenu pour naturel, n’est qu’un rôle appris, transmis, imposé. Porter la culotte n’a jamais garanti la sagesse, mais seulement l’apparence d’un droit.
L’émancipation ne se révèle qu’après coup : invisible avant, évidente une fois acquise. Chaque génération doit en refaire l’apprentissage, entre patience, visibilité et courage, car la liberté n’est jamais donnée d’avance.
BOYNE, John - Les éléments coup d’❤️ Littérature irlandaise 2025 - 506p
L’écrivain irlandais John Boyne - né en 1971 et notamment auteur du Garçon au pyjama rayé - dans son dernier roman explore l’abus sexuel sous toutes ses formes. À travers quatre récits, il met en lumière autant de narrateurs aux prises avec leur culpabilité et leur résilience, en résonance avec les quatre éléments : la profondeur mystérieuse de l’eau, la gravité de la terre, la flamme intérieure du feu et la légèreté de l’air qui emplit les poumons.
Tous ses personnages, porteurs de secrets et reliés les uns aux autres par d’invisibles fils, se trouvent marqués par des destins oscillant entre ombre et lumière. Le livre se referme sur une boucle qui ramène chaque destin à son point d’origine. À travers chaque récit intime, l’auteur explore avec une sobre intensité la culpabilité, le déni, la complicité silencieuse et la laborieuse quête de vérité personnelle. Un message en émerge : “Nul n’est responsable des ténèbres qui sommeillent dans les recoins de son esprit. Mais dans nos vies ? Oui, nous avons le pouvoir de les maîtriser.” »
BUSSI, Michel - Les ombres du monde ❤️ Thriller historique 570p - Sortie août 2025
Le génocide des Tutsis au printemps 1994 au Rwanda a marqué la première année d’enseignement de Michel Bussi. Durant près d’un quart de siècle, il a constitué un vaste corpus de données pour ses cours sur ce drame. Devenu écrivain, il met aujourd’hui cette mémoire au service d’un thriller historique puissant, qui explore le génocide à travers les récits entremêlés de trois générations d’une même famille revenant sur les lieux du drame.
Un récit à la fois instructif et bouleversant. Plus qu’un roman, c’est une fresque historique ambitieuse, habitée par des personnages marquants - qu’ils soient réels ou fictifs – et portée par une écriture fluide, précise et intense. La tension ne faiblit jamais, mais la lecture exige du temps. Pour apprendre - le territoire du Rwanda, ses lignes de partage, ses frontières, ses fractures ethniques. Pour comprendre. Pour digérer. Peu à peu, l’ampleur du drame se révèle, l’émotion s’impose, et les personnages continuent de nous habiter bien au-delà de la dernière page.
DOS SANTOS J.R. - La femme au dragon rouge ❤️ Thriller 620p
Inspiré de personnes et de faits réels, La Femme au Dragon Rouge est signé par José Rodrigues dos Santos, écrivain portugais et grand reporter des conflits à travers le monde. Il livre ici un thriller implacable, minutieusement documenté, qui décrypte les véritables intentions du Parti communiste chinois face à l’Occident.
Dos Santos déploie un récit haletant qui dévoile les rouages du Parti communiste chinois : prêts massifs aux pays pauvres, infrastructures offertes en échange d’une dette insoutenable, ports et territoires cédés sous la contrainte. À l’ONU, Pékin s’assure le soutien de ces pays endettés pour faire basculer les votes. L’emprisonnement des premiers médecins qui avaient révélé l’existence du Covid-19. Des camps de concentration pour avoir utilisé WhatsApp ou reçu un appel de l’étranger. Des microprocesseurs espions intégrés aux ordinateurs et téléphones. Des campagnes de désinformation coordonnées avec la Russie, pour affaiblir les démocraties libérales. Des enlèvements à l’étranger de citoyens critiques envers le Parti.
Le lecteur plonge dans un quotidien de surveillance, d’algorithmes intrusifs et d’humiliations, où des fonctionnaires chinois viennent « partager la vie » de femmes ouïghoures dans le cadre de la campagne cyniquement nommée Devenir une famille.
Ce roman glaçant, nourri d’une solide documentation, est bien plus qu’une fiction : une dénonciation frontale des pratiques du Parti communiste chinois et un plaidoyer pour la mémoire et la vigilance. Comme le rappelle Dos Santos : « Exposer les violations des droits de l’homme du Parti communiste, ce n’est pas critiquer la Chine. C’est la défendre. »
Thriller haletant mais surtout alarme politique, il tend à l’Occident un miroir brutal : comment se défendre contre un régime qui contrôle les pensées de ses citoyens, exporte sa surveillance, infiltre nos institutions et exploite nos failles démocratiques ? Le roman met à nu nos contradictions : nous avons le luxe de la liberté - critiquer, élire, destituer, saisir la presse - et pourtant nous l’oublions, comme si elle allait de soi. Une liberté fragile, que d’autres n’ont déjà plus.
Un texte coup de poing. Une lecture indispensable pour comprendre les ressorts d’une puissance de plus en plus envahissante
CHALANDON, Sorj - L’enragé COUP d’❤️ 2023 Roman historique 400p
La révolte des enfants de Belle-Île-en-Mer dans la nuit du 27 août 1934 est un fait réel. Cinquante-six gamins s’évadent de la colonie pénitentiaire pour mineurs afin de protester contre les mauvais traitements. Âgés de 12 à 21 ans, souvent orphelins, ils ont été placés là pour de menus délits, parfois seulement pour vagabondage.
Les personnages marquent par leur intensité : Jules et Ronan, rudes mais profondément humains, face aux tortionnaires de la colonie qu’on abhorre sans réserve. L’auteur signe un roman sombre et documenté, à la fois terrifiant et bouleversant. La langue est brute, sans concession, et donne une force rare au récit. Une lecture éprouvante mais splendide.
DALLAIRE, Louis-François - Cellules grises Coup d’❤️ 2023 Roman québécois 335p
Lʼhistoire campée dans la Haute-Ville de Québec nous raconte trois vieux complices dont la retraite a pris la forme d’une prison.
Un roman poignant sur la condition de septuagénaire aidant naturel, mais aussi un récit plein d’humour, porté par la complicité indéfectible de trois amis.
Petit bijou à lire ou à offrir, aux retraités d’aujourd’hui comme à ceux de demain.
EVERETT, Percival - James Roman historique 280p - Prix Pulitzer
Le romancier reprend le chef-d’œuvre de Mark Twain, Les Aventures d’Huckleberry Finn (1884), considéré comme l’un des piliers de la littérature américaine, pour en faire le prisme d’une réflexion aiguë sur le racisme. L’histoire se déroule à Hannibal, au Missouri, un État esclavagiste à la veille de la Guerre de Sécession (1861-1865), conflit qui opposera les États du Nord (Union) aux États du Sud (Confédération).
J’ai suivi avec un vif intérêt les péripéties de deux fugitifs dont les destins s’entrecroisent. Entre Huck, l’enfant blanc débrouillard mais analphabète, et Jim, le géant noir qui joue au « simple d’esprit » pour masquer son érudition, se tisse une amitié improbable. Ce renversement des rôles - l’esclave qui sait, le Blanc qui ignore - met en lumière toute l’ironie d’une société construite sur des hiérarchies mensongères.
Le roman montre que le véritable pouvoir ne réside pas seulement dans la force brute, mais dans la maîtrise de la langue : capacité à raconter, à convaincre, à survivre par les mots. Jim, en dissimulant son savoir tout en le transmettant clandestinement, incarne une figure de résistance culturelle face à l’ordre esclavagiste.
Derrière ce voyage sur le Mississippi, c’est l’histoire d’une amitié qui défie les codes raciaux, mais aussi une méditation sur le langage comme arme d’émancipation. Plus qu’un simple roman aux racines du XIXᵉ siècle, c’est une réflexion toujours actuelle sur le racisme, l’éducation et la liberté.
GAUDÉ, Laurent - Zem Dystopie 280p
Dans Zem publié aux éditions Actes Sud, Gaudé fait revivre Zem Sparak de son précédent livre Chien 51, ancien policier déclassé de la zone 3, désormais garde du corps de Barsok, leader politique promettant la réunification de la ville et la fin des clivages sociaux. Zem avec lʼinspectrice Salia Malberg affrontent l’opacité du consortium GoldTex, maître absolu de Magnapole - miroir déformant d’un monde où le progrès se confond avec l’asservissement.
Gaudé recourt à la dystopie pour interroger notre présent et inscrire son récit dans la longue histoire des cycles énergétiques : après le pétrole et le lithium, il invente le tassilium, nouvelle illusion d’abondance. Magnapole, sa ville imaginaire, reflète nos sociétés inégalitaires : tandis que les océans se meurent sous l’effet du réchauffement et de l’acidification, on rêve déjà d’exploiter d’autres ressources, quitte à découper et faire fondre des icebergs pour en embouteiller l’eau au profit des plus riches, abrités sous des dômes climatisés.
Le consortium GoldTex incarne cette logique : il promet confort et protection en filtrant la réalité grâce au TroubleShield, qui dissimule les « mauvaises nouvelles » pour préserver l’humeur des citoyens-salariés. Dans cet univers, progrès rime avec survie marchandisée, et le privilège des uns s’érige sur l’effacement des autres.
Gaudé explore aussi la chute et le relèvement, la possibilité de réparer et de retrouver une dignité. Par une écriture tendue et dépouillée, il sculpte la figure de deux héros fatigués dont la quête croise celle des humiliés et des invisibles.
HASSAINE, Lilia- Panorama COUP d’❤️ 2023 Polar d’anticipation -dystopie 240p
En 2049, la société vit dans la Transparence. Lilia Hassaine en pousse l’idée jusqu’à l’absurde : « La transparence a de bons côtés. Elle nous a rendus plus attentifs aux autres. Face à la solitude, la tristesse, la maladie, il y aura toujours un voisin pour sonner chez vous. » Mais cette transparence, c’est aussi épier et être épié en permanence. Comment créer une bulle intime dans un monde de verre ?
Avec subtilité, Lilia Hassaine décrit la montée des populismes et l’acceptation résignée d’une société prête à sacrifier toute intimité au nom de la sécurité. Elle dresse aussi un miroir inquiétant de notre époque, fascinée par l’image et prisonnière des réseaux sociaux : « L’algorithme nous approuve, entretient nos croyances, nous conforte dans nos choix. »
Peu habituée aux récits d’anticipation - que j’ai appris à apprécier grandement depuis 2023-, j’ai été happée par ce roman dystopique. Ses chapitres courts, son style fluide et la force du thème en font une lecture saisissante, que j’ai dévorée en une journée.
HEGLAND, Jean - Dans la forêt Dystopie
Avec son récit Dans la forêt (1996), Jean Hegland imagine un futur proche où la société américaine s’effondre peu à peu, minée par les guerres, la crise du pétrole, les catastrophes naturelles et la violence. Isolées dans une maison au cœur de la forêt, deux sœurs, Nell et Eva, apprennent à survivre et à se réinventer loin du monde technologique. Les phrases évoquant les « combats pour protéger nos libertés » révèlent l’ironie d’un système qui s’autodétruit au nom du progrès. Hegland décrit la fin du monde avec une sensibilité rare : la mémoire des choses simples - comme le goût d’un hot-dog - devient un lien fragile avec un passé révolu.
Derrière la dystopie, le roman propose une renaissance : la forêt devient espace d’apprentissage, de deuil et de liberté. L’effondrement, loin d’être une fin, marque le retour à une forme d’humanité plus vraie, attentive au vivant.
Dans le second tome, Jean Hegland fait du langage un acte de survie. Les expressions comme « mes mères s’efforçaient d’agréabler notre travail » ou « elles me courageaient » transforment la langue : les verbes inventés, les détournements grammaticaux traduisent un monde en reconstruction, où les mots eux-mêmes doivent renaître.
Les dialogues et répétitions (« Comme Donne Qui sotte ») soulignent la transmission orale, l’apprentissage par le conte. La parole devient une matière vivante, une chaleur qui remplace la technologie perdue. Les métaphores du feu, du travail et de la lecture expriment une renaissance spirituelle : lire, nommer, raconter - c’est recréer le monde. Hegland mêle ainsi poésie, archaïsme et néologisme pour dire la fragilité d’une humanité qui se réinvente par les mots.
HUSTVEDT, Siri - Un été sans les hommes COUP d’❤️ 2023 Littérature américaine 215p
La romancière - poétesse, essayiste, professeure de psychologie, marquée elle-même par la dépression et par l’ombre de Paul Auster - se reflète dans son héroïne. L’autrice donne la parole à son personnage principal Mia.
Les premières pages m’ont totalement subjuguée. Une écriture d’une finesse et d’une maîtrise fascinantes, où s’entrelacent littérature, philosophie, psychologie et neurosciences. La trame, complexe et exigeante, m’a captivée bien au-delà de mes attentes. Une lecture dense et envoûtante, traversant 2023 et 2024
MANOOK, Ian - Aysuun COUP d’❤️ 2023 Thriller 330p
Le décor s’ancre en Mongolie au cœur des steppes et du nomadisme, à l’époque où Staline tente de forcer Mongols et Touvans à la sédentarité. Héritière d’une mémoire millénaire, Aysuun, 106 ans, prend la parole pour raconter sa vie.
Un récit envoûtant, traversé par les rites touvans, les légendes et les esprits. Ode à l’harmonie entre l’homme, la nature et les dieux : « Être là tout seul, redevenir l’égal de l’ours et du loup, de l’aigle et du lynx… Appartenir à la forêt qui t’accueille, lui demander pardon de troubler sa quiétude.
Aysuun incarne une femme forte, libre, animée de cet esprit farouche qui naît de l’immensité des steppes.
Suspense, poésie, amour et violence se conjuguent sous la plume inventive et sensible de l’auteur. Un roman sublime et un rappel tragique : le viol comme arme de guerre, hélas, n’appartient pas qu’au passé.
NAMIAN, D - La société de provocation essai sur l’obscénité des riches Essai 240p
Dahlia Namian, professeure à lʼUniversité dʼOttawa, dénonce l’ostentation des élites et la banalisation de l’opulence dans un monde inégalitaire. Elle critique la mode du « mieux-vivre » technologique, qui transforme chacun en entrepreneur de soi tout en occultant les causes sociales des inégalités. De Ford à Musk, la même logique perdure : exploiter, contrôler, accumuler. Namian relie cette arrogance à la banalité du mal d’Arendt : une violence ordinaire déguisée en rationalité économique.
Un essai bref et percutant, qui expose l’égoïsme des riches et démonte le mythe du mérite individuel.
ROY, Alain - Le cas Trump Portrait d’un imposteur Biographie 224p
Alain Roy, directeur de la revue Inconvénient et auteur de Le cas Trump : portrait d’un imposteur, dresse le portrait d’un playboy narcissique qui a dilapidé l’héritage paternel et bâti sa carrière sur des illusions. S’appuyant sur une documentation abondante, il explore qui est Donald Trump, ce qui motive sa quête du pouvoir, et met en lumière son talent principal : l’art de l’imposture. Au cœur de l’ouvrage, une question cruciale traverse l’analyse : Donald Trump est-il dangereux ?
Trump est une personnalité amorale et prédatrice, transgressant la loi pour entretenir son train de vie et protéger ses intérêts. Ses affaires et sa vie publique reposent sur intimidation, manipulation et humiliation, reflet d’un narcissisme destructeur et de pulsions violentes héritées de son éducation. Sa fragilité cognitive et son vocabulaire appauvri rendent ses actions imprévisibles, tandis que ses dettes et son admiration pour Poutine le rendent vulnérable aux influences étrangères. Sa présidence a ainsi représenté une menace directe pour la démocratie américaine et l’équilibre mondial. Face à lui, l’appareil judiciaire, la hiérarchie militaire, les médias et les élus intègres sont les seules protections possibles. Pendant ce temps, les dirigeants autoritaires observent avec profit la fragilisation de la démocratie américaine.
Lire ce condensé des traits de Trump et les confronter à ses actions actuelles, notamment auprès des plus hauts gradés de l’armée américaine, ne fait qu’accentuer mes inquiétudes. L’avenir des États-Unis, et celui de leurs alliés proches comme le Canada, semble fragile face à une gouvernance marquée par le narcissisme et l’imprévisibilité. En bouleversant l’ordre mondial et en se livrant à des luttes internes, Trump ne risque-t-il pas de devenir la risée de la Chine et de la Russie, ses principaux rivaux en quête de l’hégémonie que les États-Unis détiennent depuis longtemps ?
MAILLOT, Pascal et SIOUI, Marie-Michèle - L’indomptable mammouth. De l'assurance maladie à Santé Québec : un demi siècle de réformes en santé ❤️ Enquête 270p - avril 2025
L’enquête de Pascal Maillot, ex-conseiller politique, et de Marie-Michèle Sioui, journaliste au Devoir, retrace l’évolution du système de santé québécois, de la Révolution tranquille de Lesage en 1960 à aujourd’hui. À travers ce parcours, on voit se succéder des réformes marquées tantôt par la centralisation, tantôt par la décentralisation. Mais un fil rouge demeure : depuis 50 ans le gouvernement se débat entre les résistances persistantes du corps médical, omnipraticiens comme spécialistes, qui ont régulièrement freiné ou redirigé les ambitions des ministres successifs.
Dès le début de ma lecture, une anecdote m’a particulièrement marquée : à la création de la RAMQ, qui devait transformer le statut et le mode de rémunération des médecins, Gaétan Barrette, alors jeune préposé aux bénéficiaires, se souvient que les parents médecins spécialistes de ses amis, en signe de défiance, ont choisi de quitter le Québec en voguant sur le lac Memphrémagog vers les États-Unis. Ils sont revenus dans la même journée, alors que le gouvernement, en pleine crise d’Octobre, formulait des sanctions pour ces récalcitrants.
Cette anecdote illustre bien les résistances auxquelles le Québec a dû faire face depuis la Révolution tranquille, lorsqu’il a cherché à moderniser et centraliser son système de santé avec la création de la RAMQ et des structures régionales. Successivement, les gouvernements du PLQ, du PQ et de la CAQ ont tenté de réformer l’organisation des soins, la gouvernance hospitalière, la première ligne et la rémunération des médecins, souvent confrontés aux mêmes résistances professionnelles. La création récente de Santé Québec poursuit cette volonté de centralisation et de coordination des actions tout en conciliant décentralisation et adaptation locale, mais soulève encore des questions sur le contrôle bureaucratique, l’autonomie des ressources régionales et la marge de manœuvre réelle des acteurs de terrain.
J’ai grandi avec un système de santé en perpétuelle mutation. Je revois encore le soulagement des familles modestes lorsque la gratuité des soins a enfin brisé l’angoisse des factures. Mais cinquante ans plus tard, que voit-on ? Les solutions esquissées dans les commissions Castonguay et Clair restent d’actualité. Les résistances médicales, elles, n’ont pas bougé d’un iota. Toujours les mêmes blocages. Toujours les mêmes excuses. Il est temps de briser ce cercle vicieux : assez de négociations stériles. Le patient doit redevenir le cœur du système. Point final !
J’ai trouvé l’enquête à la fois rigoureuse et captivante - et comme je lʼai mentionné en introduction aussi passionnante quʼun brillant polar - éclairant avec justesse les rapports de force et les luttes d’influence qui ont façonné notre système de santé.