STYLE
Dans Salina, son dixième roman paru en 2018, Laurent Gaudé choisit la forme du conte pour dérouler une histoire intemporelle sans repères géographiques ni chronologiques précis. Il opte pour une narration originale en donnant la parole au fils qui retrace le destin de sa mère et fait entendre sa voix au-delà de la mort.
RÉSUMÉ
Ce court récit nous plonge dans la destinée tragique de Salina, abandonnée dès sa naissance par un voyageur et recueillie par une tribu africaine. Son enfance, protégée par l’amour de sa mère adoptive Mamambala, semble heureuse, jusqu’au jour où elle devient femme. Dès lors, tout bascule : contrainte à un mariage forcé et déchirée par un amour interdit, Salina entame un long chemin d’exil. Animée par une soif de vengeance et portée par l’amour indéfectible qu’elle voue à son fils Malaka, elle affrontera courageusement les épreuves d’un destin tracé dans la douleur.
IMPRESSIONS
Le thème de l’immigration occupe une place centrale et poignante dans Salina. Poussée à l’exil par l’injustice et la violence, l’héroïne traverse des terres hostiles, portée par la colère, la douleur, mais aussi par l’amour indéfectible pour son fils. Ce parcours fait écho, de manière saisissante, aux réalités contemporaines de nombreux migrants contraints de fuir la guerre, la misère ou l’expulsion décidée par leur pays d’accueil, comme c’est le cas aux États-Unis.
Ce qui frappe, c’est l’évolution marquée du discours politique et médiatique sur l’immigration au fil des décennies. Il y a soixante ans, des figures comme John F. Kennedy parlaient d’immigration en des termes porteurs d’espoir, de promesse et de renouveau. Aujourd’hui, le ton a changé. Le discours dominant s’est durci, souvent marqué par la peur et le rejet. Même des responsables politiques modérés, comme le ministre québécois Jean-François Roberge, affirment que le Québec ne peut pas « accueillir toute la misère du monde ». Une déclaration dont le fond soulève des enjeux réels, mais dont la forme manque cruellement d’humanité. Cette évolution du discours révèle à quel point le rapport à l’immigration est étroitement lié à la perception que les sociétés ont de leur identité nationale et à la confiance qu’elles placent dans leur propre capacité d’accueil et d’intégration.
D’autres, à l’image de Donald Trump, vont plus loin encore, utilisant des mots comme « menace », « invasion » ou « criminels », contribuant à nourrir une méfiance généralisée et à stigmatiser les personnes migrantes.
La vengeance est un autre thème fort lié à l’exil de Salina. La colère, née du rejet et de l’injustice, accompagne son errance comme une force vitale, presque une compagne de route. Mais, comme chez tant de migrants, cette flamme peut vaciller avec le temps, émoussée par l’épuisement, l’usure des jours et le poids du silence. Et pourtant, même lorsque la voix se tait, que le corps s’efface, il reste une trace. La mémoire, transmise de génération en génération, devient alors le relais de l’histoire : « D’autres, un jour, raconteront ce que tu fus. » Cette phrase, pleine de gravité et de tendresse, résonne comme une promesse contre l’oubli, une reconnaissance offerte à celles et ceux que l’exil a réduits au silence. Ainsi, Salina ne raconte pas seulement l’histoire d’un exil, mais celle d’une métamorphose intérieure, d’un combat pour la dignité, d’une humanité blessée, mais transmise.
Gaudé déploie une plume juste, poétique, presque ensorcelante qui transforme l’exil et la vengeance en légende. Un récit envoûtant. Un petit bijou ! ❤️